Électroluminescence

Publié dans la revue Cavale, vol.9, hiver 2019

Un thermomètre, avec l’heure en prime, crache la température et la révélation atmosphérique de l’immédiat, le maintenant, le now avec microsecondes et pulsations artificielles précises d’un cœur atomique. Le bleu givre du témoin lumineux ne change pas la couleur déjà frigide de ton appartement. Tu y penseras vaguement, à la présence de ton ombre camouflée dans cette nouvelle noirceur au fil des traits de ton feutre gras. Bavure opaque sur sa lueur.

Rouge. Le veilleur du thermostat clignote le constat aberrant de l’inadéquate stabilité de tes sens. Ni chaud ni froid, ni passion ni abandon. Les horloges ne ronronnent plus dans les chaumières, le ballant des pendules est une pulsation immatérielle sur le néant. Sans support et sans tonus. Un rythme visuel accolé au mur. Tu ne vois que ça même les yeux fermés. Besoin d’effacer, maculage sombre sur l’alarme rouge, une censure sur le thermorégulateur. Avec heure en prime.

Les DEL frénétiques de ton réveil-matin, ton moniteur en standby, l’imprimante et le chargeur passif, en attente de tes soins et de ton téléphone vidé de son énergie. Le détecteur de fumée et de gaz carbonique, la caméra web et celle de surveillance. Jaunes ou verts ou orange, les témoins artificiels de ta vie observent sans intervenir, enregistrent sans comprendre et perturbent tes nuits. L’heure en prime sur leur affichage d’une fausse noirceur. Rien ne s’écoule sans mouvement. Des lucioles travesties illuminent chaque angle de ta pupille. Éveil, éveil, éveil, clament-elles.

Un point brillant sur la cafetière, un minuscule stroboscope caché au coin du téléviseur et l’heure… sur le micro-ondes, le four, le décodeur. Autant de lumières qui hurlent ton attention à chaque panne de courant.

Par-delà ta fenêtre, elles s’étendent jusque dans les rues de ton quartier, sur les phares d’automobiles, le lampadaire cloné aux cent mètres et les affiches publicitaires en manque d’affection. Tu parcourras cette ville sans plus les voir, éclairé par les néons du tableau de bord de ta voiture. Étincelles interminables qui pétillent de l’aube à l’aurore.

Bavures et calfeutrages opaques de ton crayon sur ces diodes, grasse peinture noire sur leur constant rappel d’être là, avec toi, chaque seconde et chaque frémissement du temps. Et l’heure en prime, toujours.

On ne voit même plus les étoiles, les vraies, là-haut dans le firmament. Toute une nuit, tu continueras d’effacer une à une celles de ton appartement.