Construire un univers I. Création de langue 104

104. Les axes I. analytique vs. synthétique

Dans cet opus sur la création de langue, nous allons toucher au système du langage. Pour bien commencer, il vous faut avoir établi vos phonèmes et plusieurs morphèmes de base, quelques-uns spécifiques à votre univers. Vous pouvez télécharger un cahier pratique en vous abonnant à mon infolettre ici. Nous allons explorer l’univers des langues analytiques et synthétiques, alors attention, c’est chargé!

Analyse de synthèse

Comme déjà introduits, les systèmes langagiers jouent sur l’axe analytique/synthétique, qui en sont les formes extrêmes. Dans le cas synthétique, l’agencement des morphèmes sert dans la formation de mots qui porteront plusieurs sens. C’est une synthèse de concepts dans un seul énoncé. Le latin est une langue synthétique des plus connues, mais le russe, le navajo, le mohawk, le grec et l’allemand aussi. Concrètement, un mot contient le radical, le genre, le nombre, mais aussi le cas grammatical, la conjugaison, la personne, d’autres morphèmes affixaux, etc.

Typiquement, la position du mot dans la phrase est moins, fixe car le mot en lui-même explique sa fonction et sa relation aux autres. Les mots peuvent donc être dits dans n’importe quel ordre, le sens ne sera pas affecté. Cependant, il existe quand même une certaine tendance dans l’ordre, un style, mais nous verrons ça dans le prochain billet. Ce trait s’oppose grandement aux langues analytiques, car dans ce cas, l’emplacement des mots est porteur de leur fonction également.

langue analytique
Photo: Henri L.

À l’autre bout du spectre, le système analytique (ou isolant) fonctionne avec moins d’affixes, mais l’importance de préciser la fonction des mots réside dans l’usage de prépositions, de conjonctions, de déterminants, de plein de petits mots qui font les liens et la position de ceux-ci dans l’énoncé. L’anglais est analytique, le mandarin, le vietnamien. Ce sont des langues qui analysent le rapport des mots entre eux et décortiquent exactement leur lien.

Et concrètement?

Des exemples, des exemples. Ce sera beaucoup plus clair si on compare les deux systèmes de base. Ensuite, on pourra jouer dans les nuances. Il faut savoir que s’il existe des langues synthétiques pures, l’inverse est très rare, sinon carrément inexistant. Allons-y en grand. Le français, comme la majorité des langues, nous offre les deux possibilités.

Anticonstitutionnellement;
de façon non inhérente à l’action de constituer (et encore, constituer est la forme verbale, donc constitu+infinitif)

En théorie, et en pratique, une langue purement synthétique pourrait avoir un seul mot et dire une phrase (langue agglutinante), alors qu’une phrase analytique ne serait formée que de morphèmes séparés. Jusqu’à quel point est-ce que la différence ne devient pas une similitude? Je vous laisse philosopher. Pour le besoin de la cause, le système synthétique s’oppose à l’analytique, mais la majeure partie des langues se trouve entre les deux à différents degrés. D’ailleurs, les langues bougent sur cet axe, comme on peut le constater avec le français qui devient justement de plus en plus analytique.

Un peu de mécanique

L’heure est à la décortication du système synthétique et ensuite analytique. À la suite de quoi, il sera possible de poursuivre la création de morphèmes pour donner préférence à l’un ou l’autre lors de votre création de langue. J’utilise ici l’ordre sujet+verbe+objet, mais gardez en tête que cet ordre est flexible et il sera approfondi dans le prochain article.

Dans le cas de langues synthétiques, les substantifs et adjectifs ont besoin d’une flexion qui leur est propre pour indiquer leur fonction dans la phrase. Les fonctions sont le sujet, le complément du nom, le complément d’objet direct, indirect, circonstanciel, etc. Les fonctions totales varient d’une langue à l’autre selon leur besoin particulier. On nomme ces fonctions des cas et spécifiquement selon leur rôle, soit le nominatif, le vocatif, l’accusatif, le génitif, etc.

En mandarin, qui est très analytique,
on remarque de plus en plus de morphèmes
qui sont systématiquement accolés
les uns aux autres. Cette tendance
semble prédire que cette langue isolante,
un jour, sera synthétique.
Elle se fabrique des déclinaisons.

Pour ce qui est des verbes, la conjugaison se fait par des affixes qui précisent le temps, le mode, la personne et le nombre. Afin de clarifier tout ce blablabla, voici des petits algorithmes pas compliqués pour étayer cette construction.

groupe sujet: radical+cas nominatif
groupe verbal: rad+terminaison (précisant le temps, le mode, la personne et le nombre selon le sujet)
groupe objet: rad+cas accusatif (direct) / rad adjectif + cas accusatif (direct)
(Pour le groupe objet, le cas changera selon le besoin, ici j’ai pris un c.o.d.)

création de langue
Photo: Roman Mager

En mot (latin), ça ferait: rosa est florem pulchrum (une rose est une belle fleur). Donc, il y a rosa, sujet féminin singulier, est, verbe présent de l’indicatif, 3e pers. du singulier, florem, substantif objet direct masculin(!) singulier et pulchrum, adjectif objet direct masculin singulier.

Comparé à une langue analytique, on peut voir d’emblée que les déterminants sont très absents. Les deux une apparaissent en français, car cette nécessité vient avec le fait que le français devient analytique. On apprend que rose est féminin par le déterminant et non la déclinaison de rose. Pareil pour fleur. Cependant, il reste bien des traces de synthétisme en français, car belle est la flexion féminine de beau.

Le français était synthétique, mais il se tourne de plus en plus vers l’analytique. À l’oral, les marques du féminin et du pluriel sont de plus en plus amenuisées, ces données sont transmises par le déterminant et non la flexion des mots (qui persiste plus à l’écrit, mais sont inaudibles à l’écoute). Les conjugaisons sont de plus en plus régulières, d’où la grande confusion à l’écrit entre manger et mangé. L’apparition de nouveaux modes, comme le futur proche (forme composée), et la disparition des modes subjonctifs est un autre signe du changement.

Autre remarque, dans une langue analytique, changer l’ordre des mots changerait le sens. Une belle fleur est une rose n’a pas tout à fait le même sens que une rose est une belle fleur. (Quoique c’est pas l’exemple du siècle). Supposons ceci: le chat mange la souris, la souris mange le chat. Plus convainquant?

Lançons-nous dans un algorithme similaire:
groupe sujet : déterminant + radical
groupe verbe: radical / rad+terminaison
groupe objet: préposition+déterminant+radical adjectif+radical substantif

En mot (anglais), ça donnerait: The sergent has eaten at the public house (Le sergent a mangé au pub). Notons que le groupe verbal est composé de deux radicaux (et un affixe). Au lieu de tout inclure dans une seule terminaison globalisante, l’usage d’une sorte d’auxiliaire crée la notion de temps. On voit aussi apparaitre une préposition (at) qui sert à introduire le complément circonstanciel (de lieu). Chaque mot, à leur position spécifique, joue leur rôle sans avoir à utiliser une flexion comme en latin, mais ils doivent être soutenus par d’autres mots (prépositions, déterminants) pour en permettre l’analyse correcte.

Cas et désinences en dissonance?

Approfondissons encore. Si le latin est synthétique, il est quand même plus analytique que bien des langues amérindiennes qui, elles, sont carrément agglutinantes. Kewa? Elles fonctionnent avec des désinences et non des cas, comme en latin. Les désinences s’additionnent au radical pour donner une chaine de donnée sur le genre, le nombre, la conjugaison, la personne, etc. Le cas, lui, porte en lui-même certains attributs simultanément.

langue synthétique
Photo: Markus Spiske

Par exemple, en latin, rosa/rosæ est à la fois la forme nominative (donc la fonction sujet) du nom rose, mais aussi simultanément le nombre. Ici, l’exemple montre le singulier et le pluriel côte à côte. Ros-a est donc rose+sujet singulier et ros-æ, rose+sujet pluriel. Pour une langue agglutinante, le cas grammatical serait un morphème et le nombre un autre morphème séparé, ce qui donnerait rose+sujet+nombre. Imaginons rosatis, rosatut, pourquoi pas. Vous pensiez pas faire des maths, hein? C’est pas fini. Après ces cours, vous allez finir avec un algorithme de phrases typiques.

À vous de choisir

Ce chapitre traitait de sujets assez complexes. Je vous invite à approfondir vos recherches sur le système qui vous plait le plus pour votre langue. Il existe tout plein de petites nuances et de particularités dans d’autres langues qui ne sont même pas effleurées ici. Il faut garder en tête, en fait, que les langues oscillent entre ces deux techniques et que peu importe votre choix, il vous suffira d’établir une constance. Il vous reste aussi à définir vos morphèmes pour les déclinaisons, les conjugaisons, les prépositions, les déterminants, ceux que vous aurez besoin du moins.

Est-ce que ce volet était trop long, trop lourd? Pourrait-il être plus accessible et compréhensif? L’avez-vous apprécié? Ne vous gênez pas pour proposer des améliorations — voire des corrections! Le prochain module parlera de l’ordre des mots dans la phrase et des flexions.

Prochain étape: Les axes II, syntagmes et paradigmes

Photo par Mark Rasmuson

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