306. Universelles, les émotions?
Ceci est le tout dernier article sur la création de langue fictive. J’espère que la réflexion que cette rubrique vous a apportée vous a enrichi. Pour conclure la troisième partie sur la culture et le langage, nous allons explorer le spectre des émotions humaines.
Les émotions universelles
Tout le monde ressent. Chaque individu a des émotions, cependant, non, elles ne sont pas universelles. De récentes études démontrent que les émotions sont une construction sociale. Certes, il y en a qui sont plus universelles que d’autres, les émotions de base par exemple se retrouvent presque partout. Presque, car dans la multiplicité humaine, il y a des exceptions partout. Même si la peur, par exemple, est même dans le règne animal, son explication et interprétation culturelle peut être si variée et si façonnée que pour certaines sociétés elle devient inexistante: en tant que concept, en tant que réaction corporelle. Il y a bien une chose universelle chez l’être humain: rien n’est universel.
Si les émotions sont ainsi construites, elles sont donc intégrées à la parole. Là est notre intérêt.
Pas de concept sans mot?
Il y a parfois cette drôle d’idée qui circule que s’il n’y a pas de mot pour un concept, il est impossible de le créer, car la langue module la pensée. Alors, oui, la langue façonne les schèmes de pensée, mais elle n’est pas l’unique maitresse dominatrice. Il est possible, à force d’observations, de circonvolutions cognitives, d’explorer au-delà de nos limites conceptuelles. Autrement, rien d’innovateur ne pourrait venir d’une unique culture.
Parfois, pour exprimer une sensation, on a l’impression qu’il n’y a pas de mot. Et c’est peut-être le cas. La possibilité de créer un mot pour adresser ce manque est à la portée de tous. Créer un mot, découvrir un concept nouveau. Autant les émotions peuvent être profondes en nous, dans notre sang et nos os, autant elles demeurent un concept dans notre esprit. Une fois conceptualisée, une émotion se charge d’avoir un mot la nommant.
Créer… ou emprunter
Des sociétés qui se côtoient régulièrement finissent par avoir plus ou moins les mêmes concepts, et les émotions n’y échappent pas. Il peut demeurer quelques spécialités, mais en général, une intercompréhension sera assez facile. Une civilisation qui est plutôt isolée risque d’être, elle, très originale à tous les niveaux. Le langage est vecteur de ces distinctions.
Parfois, emprunter un concept avec le mot d’une langue étrangère est plus efficace. Le terme saudade par exemple, qui vient du portugais, n’a pas trouvé de traduction dans bien des langues d’adoption. Mais pour comprendre sa définition elle-même, il faut comprendre le concept d’amour. Saudade, une émotion complexe.
Pour la création d’une langue fictive, de termes conceptuels inexistants, il faut réfléchir à ce qui existe ou non. Une civilisation fictive qui n’a pas de notion pour amour aurait une grande difficulté à comprendre saudade également. L’emprunt de l’un doit aussi amener l’autre. Les émotions sont profondément liées à la parole, mais elles ne sont pas dépendantes d’elle.
D’autres structures
Pour conclure le volet de langue et culture, il peut être enrichissant de chercher à définir d’autres concepts comme les saisons, les fêtes, les cycles, les rangs. Des structures sociales différentes peuvent aussi amener son lot de nouveaux termes: modèle de gouvernement, code de la sexualité, groupe de travail, chaine alimentaire, météo, spiritualité, le rapport humain/animal, etc. Pensez à leur interaction, à leur organisation, à définir les rôles, les hiérarchies, les liens.
Fin de la langue
Ainsi se termine le volet de langue et culture, mais aussi de la création de langue. Cependant, ce n’était qu’une partie dans mon plan machiavélique de la rubrique Construire un univers. Le prochain projet tournera autour de la parturition: c’est-à-dire l’accouchement physiologique, ses étapes, ses particularités (si terriblement ignorés dans la fiction), ses spécificités. Au sens plus large, il sera question de maternité, d’enfantement, d’allaitement. Tout ça dans le but d’injecter des notions réelles dans vos univers… ou alors de savoir par où passer pour faire quelque chose de complètement opposé… mais en connaissance de cause.
Photo à la une: Laura Cortesi
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