Loec, ce Gary Stu

La formation de personnages complets et complexes passe inévitablement par une masse difforme de matière. Lorsque j’ai décidé d’inclure Loec dans mon roman, il est apparu premièrement comme le conjoint de mon héroïne Vièle. J’en avais fait un protagoniste principal au même titre que les autres sans trop me soucier de son rôle et son importance. Après la rédaction complète du premier jet des quatre tomes des Dissidents de Narbrocque, il s’est avéré que Loec, ce cher petit forgeron, n’était rien d’autre qu’un Gary Stu.

Hello Mary Sue, goodbye heart

Pour vous mettre dans le bain, un Gary Stu est le pendant masculin d’une Mary Sue. En gros, il s’agit d’un protagoniste vide, creux, caverneux qui résonne que son écho. Une Mary Sue est un personnage trop parfait, sans évolution, qui est la plupart du temps le fantasme de l’auteur débutant qui se projette dans sa fiction. Loec n’est pas tout à fait ma projection — voire très peu d’ailleurs — mais il est, ou était, ce personnage qui n’avait ni conflit ni évolution, ni même de motivation. Il ne servait qu’à être l’intérêt sentimental de Vièle et la faire briller.

Loec Colbarde Fesbré

Or, voilà bien le gros os. Vièle est une femme qui prend de la place et qui brille par elle-même de toute façon. Il lui faut un complément plus discret, certes, mais pas insipide non plus. Je me suis interrogée longuement sur la capacité de Loec a être un protagoniste principal. Je n’avais qu’à le mettre un peu plus dans l’ombre, vu qu’il y était déjà beaucoup. Ça me déchirait le cœur, mais comme je n’arrivais pas à le saisir, le sentir vivant et entendre sa voix, j’étais prête à faire ce sacrifice. Mais pas sans essayer quelques petites choses avant.

Trouver Loec dans la nuit

Comme avec le Roussard qui m’échappait des doigts, j’ai décidé de faire les mêmes étapes pour le trouver. J’ai donc sorti fiche de personnage, test de personnalité, ébauche d’un arc narratif qui lui était propre, élaboration d’un plan d’intrigues secondaires, des recherches sur le métier de forgeron. Loec s’est dévoilé, mais intellectuellement. Je le comprenais avec une froideur logique, avec cause-conséquence cohérente, une mécanique d’histoire claire. Il demeurait toujours distant, lui qui est si câlineux.

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méme inspiré du jeu Fallout: “War. War never changes”

Entre-temps, je travaillais sur des projets secondaires dont la novella Tombée qui met en vedette Vièle et dans lequel apparait Loec. Je crois que j’ai bien fait, sans m’en rendre compte, d’écrire des chapitres de son point de vue à lui. La première version est venue comme celle de mon roman: il était là comme témoin et narrateur de la vie de Vièle. C’est à la réécriture de ce court roman que j’ai saisi l’importance de lui trouver sa place et vite. Était-il vraiment principal? Qu’avait-il à dire dans l’histoire, sur son expérience. Était-il utile? Cette novela lui a sauvé la vie, je crois.

Qui es-tu, homme de forge?

Loec est un jeune homme abandonné. Son père, qui lui apprend le métier de la forge, l’a brimbalé partout dans la région de Cordalme sans jamais se poser. Sa mère est morte en couche et il n’a ni frère ni sœur. Loec vouait une admiration à son père, mais je suis heureuse de dire que cette relation a bien évolué. Son paternel, pourtant bien intentionné, ne lui a jamais expliqué pourquoi il avait coupé les ponts avec sa famille ni celle de sa mère. Ce vide ne sera jamais répondu.

Il a tant gardé son secret que ce vide t’aspire la nuit. Fratricide, inceste, rapt d’une femme qui ne voulait pas. Ou alors trahison, complot, haine, quelque chose de si sale et venimeux que la douleur de l’ignorance lui paraissait mieux pour toi. Par amour? Comment prétendre à ça lorsque le gouffre de réponses te tue, toi, fils du tabou que tu es.

Puis Vièle se colle à toi et respire dans ton cou. Il y a dans son souffle lent la berceuse qui te manque. Son cœur, doucement contre toi, assourdit tout le reste. Tant qu’il bat, tu dors, tant qu’il bat.

exercices d’écriture

Le jeune Loec a un fervent désir d’avoir une famille bien à lui. Que ce soit par le truchement de sa bande d’amis, puis de ses apprentis ou ses collègues de la guilde, il cherche à se bâtir constamment une communauté dans laquelle il respire. À être même parfois dépendant. L’adoption d’enfants devient aussi un moyen pour se faire une famille.

Loec se retrouve un conflit avec un autre forgeron qui l’empêche de monter les échelons dans la guilde et qui imite sa façon de travailler. C’est qu’il a découvert une manière de faire un fer des plus impressionnants — même si bien des secrets lui échappent encore — et qui fait à la fois sa renommée et bâtit des rivalités. Avec tout ça et plus encore, Loec ne me touchait pas.

Prends ma main

J’ai rencontré Loec quand j’ai su l’accompagner. L’habitude de faire une narration à la première ou troisième personne, peu importe la focalisation, est le dernier nœud que j’ai eu à défaire. J’avais Loec et son histoire. Après un exercice d’écriture particulier, j’ai eu Loec dans ses pensées et ses émois. C’est le tu qui a ouvert la porte. Loec, je le raconte à la deuxième personne comme son témoin de vie. Contrairement à ce que ce pronom pourrait présupposer, il n’établit pas de distance vers Loec. Moi, en tant que son écrivaine, j’arrive à le comprendre et le lecteur arrive à s’y associer.

Le sait-elle quand elle joue avec toi comme ça. La sent-elle, ta main, frôler sa hanche sous prétexte d’une prise, que tes veines, en dedans, surchauffent. Lorsqu’elle te provoque du bout d’un doigt bien piqué dans l’épaule. Faire semblant comme des enfants. Ce sourire de gamine t’invite au jeu et ses lèvres de femme t’incitent à… Et puis tu arrives à saisir son corps contre toi, là, juste avant qu’elle ne coule entre tes phalanges, ton menton qui ose se poser dans le creux de son cou. Tu ne veux plus jouer. De moins en moins.

Elle glisse ses paumes sur toi, elle hésite à pousser, elle tarde à se dégager. Idiot, mais qu’est-ce que tu rêves! Des caresses? Tes prises se veulent tendres, mais c’est votre amitié qui s’écroule. Tu voulais une sœur et qu’est-ce qu’elle fait à devenir amante? Ça va s’effondrer. Ça va disparaitre. Elle file entre tes doigts. Son amitié t’échappe et tu désires et crains qu’elle parte. Tu la touches parce qu’elle le veut bien. Un jeu. Amical. La sent-elle, cette fin de vous deux gamins? Que répondrait-elle, que répondra-t-elle?

Exercices d’écriture

À chaque saison sur le forum d’écriture où je suis depuis des années, il y a une activité saisonnière que l’on nomme le Calendrier. Il consiste à pondre un petit texte par jour sur le thème du jour pendant une vingtaine de jours avant le solstice ou l’équinoxe. (Ça fait beaucoup de jours…. bref).

C’est lors de celui de juin dernier qu’une collège m’a donné le dernier coup de pouce pour enfin créer ce pont avec Loec. Elle a suggéré de faire ce défi seulement sur lui. C. Kean en avait fait l’expérience avec ses personnages (que vous pouvez suivre ici) et avait trouvé ça très, mais très, révélateur. Je ne puis qu’approuver cette démarche.

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Photo: NeONBRAND

Après tout ce temps, Loec est un personnage principal. Il a une voix qui lui est propre et il est important. Maintenant, je peux réécrire les Dissidents.

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