107. Le post partum
En fiction, on parle peu du post partum. Elle se contente de montrer une nouvelle mère avec son bébé, souvent bien fatiguée, mais totalement heureuse s’il est désiré, complètement marâtre sinon. On exploite peu la zone très grise du 4e trimestre de grossesse et beaucoup de réalités demeurent taboues.
Le 4e trimestre
La phase du post partum se nomme le 4e trimestre de la grossesse, non sans raison. Dans les mois qui suivent la naissance, le corps change encore. Chute hormonale, exténuation, adaptation physique et psychologique à la situation, mise en place ou non de l’allaitement; il y a de quoi s’occuper.
Plusieurs cultures dans le monde établissent un rituel de quarante jours après l’accouchement, autour de la nouvelle mère et son enfant. Il s’agit en fait de prendre soin de la mère, de la soutenir avec son enfant, de s’occuper du reste de la fratrie, de la maisonnée, pendant qu’elle récupère. Cette période est cruciale pour l’attachement de l’enfant à sa cellule familiale.
Ça pourrait être aussi une façon, dans une société disons trop patriarcale par exemple, d’empêcher l’homme d’exiger une intimité trop précoce avec sa femme et de rompre ce lien mère-enfant pour le pousser vers une autonomie prématurée. Cependant, ça peut également être, dans une perspective plus féministe, une manière de tisser des liens communautaires autour des naissances.
Quarante jours, c’est un trimestre, c’est le temps que le corps a normalement besoin pour revenir à un état habituel. Les règles reprennent, donc la fertilité aussi. Le bébé a des sommeils plus réguliers, son système digestif est plus mature et ne demande pas à être changé dès lors qu’il boit, comme dans les premiers jours. La mère s’est adaptée à une nouvelle routine avec cet enfant. La fratrie, les conjoints, trouvent un équilibre.
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Pour la fiction
Dans votre univers, est-ce qu’il est permis à la nouvelle mère de se reposer? Y a-t-il une organisation sociale qui fait en sorte que cette période est un soutien à la jeune famille? Que pourraient être les répercussions d’un manque de repos ou de bulle familiale durant la période d’attachement? Quel développement a votre société si le post partum est ignoré, ou au contraire s’il est inclus dans les rituels?

Parlant de rituels, qu’est-ce qui peut être mis en place dans votre univers pour cette période? Une cérémonie d’accueil, une manière de soigner le corps spécifique à cette période, des antidépresseurs, un service de nourrice, un isolement partiel ou total, une reprise du travail sans autre considération? Cette période peut être le reflet de votre société, ce n’est pas à négliger.
Changement du corps
Neuf mois de grossesse, c’est aussi neuf mois de dégrossesse. Si le ventre se vide en quelques heures, il n’en demeure pas moins, en outre, que le reste du corps de la parturiente demeure transformé. La mollesse des muscles et des ligaments, qui permettent une facilité d’accouchement, perdure quelques mois après celui-ci. Et d’autant plus si l’allaitement se prolonge, car la production laiteuse maintient les hormones de grossesse dans le corps de la porteuse.
#MonPostPartum Ce qu’elles auraient aimé savoir avant d’accoucher
Les premières semaines, les gestes les plus anodins du quotidien sont difficiles. Uriner est compliqué, sans compter le reste. Dormir est chaotique, même avec un soutien familial autour. Le corps est faible, mou, laid. Il s’est modifié si vite que la femme est encore sous le choc. La publicité ci-contre est d’un réalisme inouï.
Les hanches n’ont plus la même envergure qu’avant. Le coccys, la colonne vertébrale ont pu changer de tracé. Des nouveaux maux de dos, un inconfort pour s’assoir? Des douleurs partout, être raquée, déchirée, cousue, molle, amorphe, changée, des seins débordants, lourds, ne plus savoir quel corps est celui-ci…
La peau molle du ventre demeure flasque. Les abdominaux, qui s’étaient séparés au centre pour faire de la place au ventre, se ressoudent lentement… et pas toujours complètement (voir La diastase des grands droits). Même si les mois retirent le «gras de bébé», même si la remise en forme et le travail redonnent de l’énergie, il y a fondamentalement des changements physiques qui sont irréversibles.
Et tout ceci a un impact sur le mental.
Pour la fiction
Comment vos personnages sont-ils amenés à vivre ces changements? Y a-t-il des explications culturelles, des légendes et des mythes qui enseignent sur cette période? Est-ce un moment charnière, un changement de statut social, pour un personnage? Y a-t-il des solutions esthétiques qui sont apportées pour masquer, rehausser les différences avant/après accouchement? Quelles peuvent être les conséquences physiques et psychologiques sur la remise en forme d’une guerrière si elle subit des pertes urinaires au moindre effort?
Dépression post partum
Jusqu’à 20% des parturientes passent par la dépression post-partum. Une sur cinq. Il ne s’agit pas ici d’un blues qui rend amorphe, mais vraiment d’un trouble mental qui empêche de bien vivre les situations de la vie. Alors oui, les larmes sont plus faciles en post partum grâce au petit effet d’hormones en chute libre. Oui, l’épuisement est constant, la charge mentale est en expansion presque déconcertante. Prendre conscience qu’un tout petit être fragile dépend entièrement de soi est un défi en soi sur la compréhension du monde.
Apprendre à éduquer: La maternité n’est pas (que) un don de soi
Ce blues est normal, car il n’empêche pas l’émerveillement ou la tendresse qui se développe envers l’enfant malgré l’irritabilité facile et le découragement. Les mouvements de grandes joies et d’accomplissements côtoient le syndrome de l’imposteur et l’autocritique de son nouveau rôle de parent. Le sentiment d’être jetée dans le vide, sans expérience aucune, tout en étant bombardée des conseils de chacun peut désarmer et attrister, mais ne retire pas le désir d’être parent.
La dépression, elle, la vraie, est taboue. Celle qui forme des pensées suicidaires dans la tête des mères, en leur faisant croire que sans elle, le bébé serait mieux entouré. Celle qui pousse à l’abandon, voire la violence contre l’enfant, à des paroles destructrices. Ce sentiment d’être horrible, incompétente et d’avoir honte de ne pas cadrer dans la parfaite mère aimante et nourricière de son rôle social. Une impression de couler, de folie. Elle ne ressent pas l’élan d’amour pour son enfant, pleure constamment et en cachette, car elle sait qu’elle n’est pas supposée être si ingrate envers lui.
Apprendre à éduquer: La dépression post partum: quand la maternité se transforme en enfer
Pour la fiction
Existe-t-il dans vos univers une surveillance après l’accouchement? Est-elle bienveillante, négligente, envahissante? Qu’est-ce qui est accepté comme déprime, fatigue ou trouble mental dans vos sociétés et quels outils sont en place pour y répondre? Est-ce un tabou? Les nouveaux parents sont-ils laissés à eux-mêmes ou ont-il un village pour les aider? Pourquoi est-ce ainsi et quels impacts y a-t-il dans votre monde?
Ce dernier volet sur le post partum complète la série de la parturition en fiction. Que vous écriviez du contemporain réaliste, de la fantasy ou de la science fiction, partir du réel est une bonne base afin d’expliquer et de voir les choses autrement.
Dans Construire un univers II, il sera question la prochaine fois de l’allaitement, des mythes et de ses réalités.
image à la une: Amanda Greavette
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