Dans le cadre de la toute première entrevue de cette rubrique, je vous propose l’écrivain Dave Côté, du Québec.
Portrait d’auteur
- Es-tu un auteur publié? Est-ce important pour toi? Est-ce une notoriété ou une reconnaissance?
Oui, j’ai publié plusieurs nouvelles dans Solaris, dans Brins d’éternité, et une dans Galaxies. J’ai aussi un roman et un recueil de nouvelles à mon actif, ainsi qu’une participation au collectif Bizarro de la maison des viscères. Mon recueil de nouvelles Nés comme ça a gagné le prix Jacques Brossard en 2019, en plus du prix Aurora-Boréal de la même année. Il a également été finaliste au prix des Horizons imaginaires.
Ces réussites sont très importantes pour moi. La compétition est féroce dans le milieu de la littérature, il y a une foule de gens talentueux au Québec et réussir à se démarquer est un défi de taille. En plus, ce que j’écris entre difficilement dans une case, ce qui me cause parfois des difficultés quand vient le temps de proposer mes textes à des éditeurs. Ces prix et ces formes de reconnaissances sont pour moi des confirmations que j’ai ma place malgré tout.
- Quel.s genre.s d’écrits fais-tu?
J’écris surtout des nouvelles, mais je garde tout de même une place pour l’écriture de romans dans mon espace créatif. J’aime passer de l’un à l’autre et chaque format répond à un besoin différent. J’aborde l’écriture des nouvelles comme un sprint, une histoire punchée et dynamique qui lance un concept au visage du lecteur sans le préparer ou lui donner d’explication.
Le roman, pour moi, est davantage une sorte de pèlerinage intérieur où j’explore plus en profondeur une histoire et ses personnages. Mes romans sont souvent beaucoup plus sérieux et nuancés. J’écris également quelque chose qui ressemble à de la poésie absurde, que je publie à l’occasion sur Facebook.
- Quel.s genre.s lis-tu?
Je m’intéresse au fantastique avant tout, mais je lis aussi un peu de science-fiction. J’aime ce qui surprend, ce qui détonne, ce qui renverse les conventions. Par exemple, j’ai adoré « Ilyum » et « Olympos », de Dan Simmons, ainsi que « L’océan au bout du chemin », de Neil Gaiman.
- Où peut-on trouver tes publications? Laquelle nous suggères-tu pour te lire une première fois?
La plupart de mes publications sont chez les Six brumes et dans la revue Solaris. Mon recueil de nouvelles serait sans doute une très bonne porte d’entrée, puisqu’il s’agit en fait d’une sélection de mes meilleurs textes parut entre 2010 et 2018 environ. S’y trouvent beaucoup de textes fantastiques, mais aussi un peu de science-fiction et d’horreur.
J’ai d’ailleurs choisi le premier texte du recueil (Les olives de Mélanie, dans laquelle un pirate de l’espace convoite les olives de la Terre, seul endroit de l’Univers où ce fruit pousse) pour en faire une sorte d’avertissement. Il s’agit de l’une des nouvelles les plus déjantées, je voulais que le lecteur sache à quoi s’en tenir.
- Quel est ton parcours d’auteur dans la chaine du livre?
J’ai commencé par envoyer des manuscrits de romans chez tous les éditeurs, comme tout le monde 😉. Ils étaient toujours refusés, j’ai donc cherché comment m’améliorer, ce qui a fini par m’emmener aux ateliers d’écriture d’Élisabeth Vonarburg. J’y ai beaucoup appris, et les publications professionnelles n’ont par tardé par la suite. C’est aussi là que j’ai compris que la nouvelle littéraire occuperait toujours une grande place dans mon répertoire, et ne serait pas qu’une étape préliminaire pour apprendre à écrire des romans.
- Comment a évolué ta méthode de travail? De l’écriture instinctive à celle plus planifiée, de l’écriture manuscrite à tapuscrite? Ce sont pour toi des méthodes contradictoires ou complémentaires, ou sont-elles plutôt une sorte d’axe sur lequel jouer?
Chaque personne doit trouver sa méthode, ce qui peut rendre le processus assez difficile. J’ai longtemps cherché un équilibre entre la planification et l’écriture instinctive. J’ai vite compris que s’en remettre complètement à l’intuition constituait un coup de dé assez risqué : se rendre compte d’un détail qui ne fonctionne pas dans l’histoire après 100 pages, ça demande une réécriture colossale. De l’autre côté, tout planifier d’avance tuait les histoires dans l’œuf pour moi, je n’avais plus de surprise en écrivant et je m’ennuyais.
J’ai donc oscillé d’un extrême à l’autre, pour me rendre compte qu’avec encore plus de préparation, les surprises recommençaient à émerger, mais plutôt dans l’ordre du détail, cette fois, et que ces détails étaient très satisfaisants à découvrir. Maintenant, je fonctionne avec une sorte d’hybride.
Je laisse mes idées mijoter très longtemps à l’intérieur de moi, c’est un processus en partie inconscient. Puis, après parfois plusieurs mois, je sens l’idée « prête » : j’ai une idée assez précise des personnages, de la thématique centrale, de ce que j’ai envie de dire avec ce texte, des personnages et de l’arc de l’intrigue principale. Alors, je planifie en détail, mais seulement un chapitre à la fois. Pour me réserver des surprises et laisser de la place aux imprévus.
Page Facebook Dave Côté, auteur
Perception du métier
- Perçois-tu une différence entre ceux qui ne sont pas publiés et ceux qui le sont (si oui, comment)? Est-ce ainsi que l’on définit un.e écrivain.e?
Il y a plusieurs « grades » selon moi, mais ils ne servent pas à qualifier quelqu’un d’écrivain ou pas, ou même d’aborder la qualité de ses écrits, mais seulement à détecter son niveau d’expérience. Il y a certainement une différence entre les auteurs publiés et ceux qui ne le sont pas encore, qui se situe peut-être au niveau des attentes plus ou moins réalistes qu’on peut entretenir par rapport au monde de l’édition.
Mais une fois publié, ce n’est pas la fin de tout, on continue d’évoluer et de se perfectionner. Cette fois, peut-être dans un but plus sain : au lieu de chercher le Saint-Graal de la publication, on commence à se concentrer sur son art, sur ce qu’on a à dire.
Ce qui fait la différence entre un écrivain et une personne normale (ahahah !), selon moi, c’est une seule chose : le besoin d’écrire. Il faut travailler tellement fort pour devenir un auteur publié que quiconque avec un peu de bon sens s’arrêterait en cours de route. Seuls ceux qui n’ont pas d’autre choix que d’écrire continuent à s’acharner assez longtemps.
- Crois-tu que la vocation ou le métier d’écrivain a un certain prestige? Est-ce selon toi plutôt un métier ou une vocation?
Oui, je crois qu’il y a un certain prestige à l’écriture, mais il est très paradoxal. Quand on rêve à la publication, on est aveuglé par les étincelles de ce prestige, mais c’est aussi un domaine assez ingrat. On gagne très peu d’argent avec nos écrits, et l’art est, en fin de compte, assez peu valorisé dans notre société. C’est comme si ce prestige n’était qu’imaginaire, ou en tout cas réservé à quelques très rares artistes.
Je crois que se défaire de ces idées étincelantes est d’ailleurs probablement une étape pour obtenir un des « grades » dont je faisais mention plus tôt. Il y a certainement une différence entre les auteurs qui sont passés par là et les autres. Pour moi, l’écriture n’est ni un métier ni une vocation, c’est simplement une source de plaisir, d’accomplissement personnel, et un lieu de partage.
- Comment définis-tu le syndrome de l’imposteur et le ressens-tu? Que fais-tu avec un tel sentiment?
Je le définis comme l’impression de ne pas mériter l’attention d’éventuels lecteurs (attention qu’on cherche pourtant quand on veut publier des textes, l’objectif de la publication étant d’être lu, au fond). J’ai connu ce problème au début de ma démarche, mais je m’en suis assez vite départi.
Il n’y a pas de remède miracle, et je crois bien avoir eu de la chance à cet égard. Ça passe par l’acceptation du regard positif que les autres ont sur notre travail. Mais pour cela, il faut recevoir ce fameux regard positif, et il peut très bien ne pas être « assez puissant », lire assez crédible, pour ne pas avoir d’effet le fameux syndrome.
Un ami qui aime un de nos textes n’aura pas le même poids qu’une sommité qui se penche sur notre œuvre. Plusieurs personnes importantes pour moi ont su me convaincre que je pouvais, sans timidité, affirmer que je suis un écrivain. Cela dit, je sais que j’ai eu de la chance de les rencontrer assez vite dans ma vie d’auteur, et que ce regard positif peut être difficile à trouver pour plusieurs. Il faut garder espoir, cela dit.
- Quel est selon toi le plus grand mythe concernant les écrivains?
Il y en a plusieurs, et ils m’énervent tous. Mais je crois que les deux pires sont les suivants.
Il y a d’abord le mythe de l’idée. Cette conception fausse qu’une « idée » est capitale dans le travail d’écrivain. Au fond, je trouve qu’on surestime l’importance de l’idée. Elle en a une, je ne vais pas dire le contraire, mais vous pouvez avoir la meilleure idée au monde, si vous ne savez pas la mettre en valeur dans une histoire bien construite, elle ne vaudra rien. C’est pourquoi j’ai toujours un sourire intérieur quand on me propose de « bonnes idées » ou qu’on me dit craindre de se faire voler « l’idée du siècle ». Elles ne sont pas aussi importantes que ce qu’on croit généralement.
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Il y a aussi le mythe de la nature éthérée de l’écriture. On croit souvent qu’il s’agit d’un art immatériel, insaisissable, que l’auteur écrit porté par un courant mystique qu’il ne saurait pas expliquer. Comme je l’ai mentionné plus tôt, l’écriture utilise certainement des procédés inconscients. Mais elle nécessite aussi une grande maîtrise que beaucoup de gens semblent sous-estimer.
Ces gens qui disent vouloir « écrire un roman cet été, pendant les vacances », m’énervent profondément. Il faut des années de pratique acharnée pour devenir un bon auteur. Est-ce que je prétends me mettre à la chirurgie esthétique pendant mes vacances, moi ? Non. Mais puisqu’on voit l’écriture comme une sorte de talent inné, on se dit qu’on a probablement ce qu’il faut, là en dedans, et qu’il n’y a qu’à se lancer pour découvrir son plein potentiel.
Mais, je le répète, il faut des années pour apprendre à écrire. Ça peut sembler intimidant, même pessimiste, mais je trouve que c’est plutôt rassurant de savoir que l’écriture s’apprend. Qu’il est normal de ne pas commencer au sommet de son art et qu’il est possible de s’améliorer.
- Comment perçois-tu toute l’animation autour des droits d’auteurs et du statut de ceux-ci?
Je trouve que c’est tout à fait légitime. Ce qui revient à l’auteur, dans toute la chaîne du livre, est dérisoire.
- Comment envisages-tu l’avenir de la chaine du livre?
Je ne l’envisage pas ! Moi, j’écris, et ça me va comme ça. Je pense très peu à ce genre de choses. Toutefois, je constate tout de même qu’il y a aussi plusieurs initiatives vraiment réjouissantes, un peu partout (librairies indépendantes, événements sociaux, maisons d’édition naissantes), et le milieu est très vivant au Québec.
Particularités d’auteur
- Quel parfum a ta période étudiante?
Mes années au Cégep sentent l’air frais du printemps. Mon entrée dans la vie de jeune adulte a été une période très bonne pour moi, j’étais surtout heureux de sortir de l’ambiance anxiogène du secondaire. Par contre, mes études universitaires en cinéma sentent plutôt mauvais. J’y étais malheureux. Mes études en psychologie sentent l’ozone. Je me sens électrifié par tout ce que j’apprends.
- Quelles couleurs porte ton enfance?
Le vert de la forêt et des champs en été.
- Quelle texture à ta relation avec tes proches?
Piquante, sur de longues distances. J’aime taquiner mes amis et être surpris par eux. J’aime qu’on brise la routine ensemble. Mais j’apprécie aussi les souvenirs communs que je garde, et savoir que ces amis seront encore là pour vivre de nouvelles expériences avec moi. J’aime regarder en arrière et voir comment ce que j’ai traversé avec ces amis nous a changés, tout en nous confirmant dans ce que nous sommes.
- Que goûte ton premier voyage?
Le lait de coco ! Je suis allé en Guadeloupe avec un bon ami, et j’ai passé les fêtes dans sa famille. C’était une expérience formidable qui n’avait rien à voir avec le tourisme, mais tout à voir avec l’immersion.
- Quelle est la musicalité, la prosodie du territoire de tes vacances?
Il a le rythme de mes coups de pédale. Il a la mélodie du vent, les percussions des voitures qui passent en coup de vent, les périodes grises des balades pluvieuses. J’ai passé beaucoup, beaucoup de mes vacances en cyclotourisme.
Photo à la une: Michal Czyz
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