Le registre de langue des personnages, partie 3

Voici le dernier volet sur le registre de langue des personnages. Ici, je vais explorer un peu plus que le registre pour aussi toucher à la variété linguistique. Ces deux éléments sont très riches également en information sur un personnage. Bien au-delà des mots utilisés par celui-ci, ce discours libéré de toute scolarisation à outrance permet de saisir l’éducation du personnage, son milieu social, son lieu de résidence, et également, le plus important, le rendre humain et vivant.

Trucs pour les dialogues

On conseille souvent aux écrivains de rendre le dialogue beaucoup plus naturel avec des méthodes simples. Qu’il s’agisse de retirer le ne de négation, d’user de vocabulaire plus courant, de tournures familières, ces trucs sont effectivement bien efficaces. J’aimerais aller plus loin.

Premier article: Le registre des personnages I

En français, comme dans toutes les langues du monde, il y a des variations dans notre manière de parler, à tous les coins de rue. Que ce soit entre pays, entre classe sociale, entre quartier d’une même ville, entre membres de la même famille, dans l’intimité ou en public, le langage varie. Le français écrit, tel qu’il l’est actuellement, donne cette fausse impression que notre langue est homogène.

Variété du langage

J’adore lire une histoire où seulement voir un dialogue me fait comprendre qui est le locuteur. Il n’a pas besoin de grand-chose: un tic de langage, un mot typique, des expressions colorées, un accent. Voilà un grand absent de la littérature française: l’accent. S’il est présent, il est plus souvent caricaturé ou ridiculisé. Et le pire, c’est que même parfois en traduction (dans les films ou les livres), on l’efface carrément.

‘I’m a what?’ gasped Harry.
‘A wizard, o’ course,’ said Hagrid, sitting back down on the sofa, which groaned and sank even lower, ‘an’ a thumpin’ good’un, I’d say, once yeh’ve been trained up a bit. With a mum an’ a dad like yours, what else would yeh be? An’ I reckon it’s abou’ time yeh read yer letter.’

Harry Potter and the Philosopher’s Stone, JK Rownling

Malheureusement, la texture donnée à Hagrid semble perdue dans la traduction.

– Je suis un quoi ? balbutia Harry.
– Un sorcier, bien sûr, dit Hagrid en s’appuyant contre le dossier du canapé qui craqua et s’écrasa un peu plus sous son poids. Et tu deviendras un sacré bon sorcier dès que tu auras un peu d’entraînement. Avec un père et une mère comme les tiens, ça ne peut pas être autrement. Mais il est temps que tu lises ta lettre.

Harry Potter à l’école des sorciers, JK Rowling, traduction par Jean-François Ménard

Était-ce pour simplifier la lecture aux jeunes lecteurs? Est-ce une sorte de malaise d’user d’une variété de langue dans un livre destiné à tous? Difficile à dire, mais ça semble fréquent. Dans les écrits originaux, on a heureusement plus souvent la liberté de jouer sur les formalités sociales.

Ben j’avons rien qu’ils pouvont recenser, les recenseux. C’est ce que je leur ai dit, pis Gapi itou leur a dit. J’avons pu autchune terre à nous autres!; j’sons pas sûrs de notre arligion!; j’counaissons pas notre natiounalité. J’pense que j’en avons point. Ah, ils nous avont dit qu’étions chanceux d’être encore en vie. J’crois ben que c’est vrai, j’sons encore en vie, ils l’avont dit, là. Ben, si je l’étions pus, ils s’en aparcevriont pas, parsonne. Pas même les recensements. Ben quand c’est qu’y vient un temps là, y’où c’est qu’une parsonne peut pus noumer son arligion, sa race, sa terre, son pays, pis qu’a peut pus noumer la langue qu’a parle, c’te parsoune-là sait peut-être ben pus au juste quel genre de sorte de façon de parsoune qu’alle est. A’ sait peut-être ben pus rien en toute.

La Sagouine, Antonine Maillet

Dans ce dernier exemple, c’est assez extrême. La lecture est plus ardue, malgré toute la couleur qu’elle prend et tout ce que cette transcription ajoute à la richesse du discours du personnage. Dur de lire lorsque l’œil (ou l’oreille) n’y est pas habitué.

article précédent: Le registre des personnages II

Serait-ce seulement une question de dosage? Quelques phrases dans un dialogue sont faciles à glisser avec la texture propre du personnage. Tout un texte est un défi universitaire. Je suis plutôt centrée sur la question. J’aime varier le registre selon le contexte narratif plus ou moins formel, j’aime jouer sur l’origine des personnages, sur leur vécu, sur leur émotivité. Tout ça les rend vivants, fluides, réels. J’aime aussi casser un peu la gueule à la formalité écrite.

Et toi, pour ou contre la transcription de la manière de parler d’un personnage?

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