Construire un univers I. Création de langue 106

106. Un peu de sociolinguistique
dans le mélange

Les étapes de la construction d’une langue fictive sont achevées. Ce dernier volet sur le langage et son rapport à une société est à mon sens le plus intéressant. Même si vous n’avez pas inventé de langue, ces quelques réflexions vont vous aider à trouver le détail linguistique pour votre besoin, surtout si vous vous en tenez à ce que suggère intelligemment le Fictiologue.

Étape précédente: 105. Les axes II: syntagme et paradigme

Cerner la sociolinguistique

La sociolinguistique est l’étude des langues dans son contexte social.  Il est question de normes culturelles, d’implicites, d’attentes des locuteurs, de connotations, de la façon dont l’usage de la langue est perçu, ou socialement évalué. Des personnes parlent une langue, des êtres vivants de chair et d’os qui respirent. Ils communiquent dans un monde en perpétuel changement, qu’il soit lent ou véloce, et le langage est le reflet de ce mouvement.

Les mots ont une connotation. Ils ont d’abord un sens propre, souvent un figuré, mais aussi un sous-entendu, un indice sur le locuteur, son origine, son éducation, son rang social et le jugement qu’on en fait. Le phénomène est courant, il arrive même parfois à changer radicalement la sémantique original d’un mot. Ses connotations sont révélatrices des tabous, des différences sociétales ou de genre. La vulgarité n’est pas exclue ni les concepts prohibés.

À travers le langage, le prestige se fait entendre. Quelle prononciation est valorisée, quel lexique, tournures de phrase, expressions? Le groupe qui a le plus de prestige dans une société est celui qu’on tente d’imiter. On peut même sentir le déclin du groupe prestigieux lorsque le langage commence à s’en moquer, à ridiculiser ou faire ressortir de nouvelles connotations liées à ce groupe.

L’histoire marque une langue. Les mots deviennent désuets, d’autres naissent. Est-ce que les changements sont progressifs ou si rapides qu’une plus vieille génération ne comprend plus la plus jeune? Les zones linguistiques reçoivent l’influence de leur entourage, des populations migrantes, des guerres, des voisins. Les éléments de la culture qui voyagent apportent leur lot d’expressions, ce qui est à la mode, ce qui est un jargon professionnel d’une source étrangère. Il y a des mots qui partent, reviennent transformés, qui sont adoptés, voire même réadoptés.

Concept de temps, de genre et de nombre

Pour approfondir la réflexion, s’interroger sur certains concepts — souvent pris pour acquis — permet de donner une autre dimension à une langue. La notion de temps, pour commencer, est culturelle. L’idée que la temporalité soit linéaire, divisée en heures, elles-mêmes subdivisées, n’est absolument pas universelle. Le temps est relatif à l’observateur, disait l’un, mais aussi à sa notion du temps. Est-ce que le temps est cyclique, linéaire, une suite de cycles linéaires? Est-il même existant? Comment cela pourrait être représenté dans une langue, y aurait-il par exemple des temps de verbes au passé, présent, futur?

La notion de genre soulève bien des polémiques ces dernières années. Cependant, la question se pose lors de la création d’une langue, puisque des réalités sociales y sont liées. La confusion générale vient que la plupart des gens établissent une corrélation entre sexe et genre. En anthropologie, entre autres, on distingue le sexe qui est biologique, du genre, qui est un rôle social. Si probablement partout on retrouve le féminin et le masculin, là ne s’arrête pas la catégorie. Neutre est un genre, l’enfance peut en être un pourquoi pas, les objets animés, les inanimés. Un homme peut jouer le rôle social d’une femme, ou le peut-il? Y a-t-il une préférence ou dominance d’un genre sur l’autre dans la société, dans le langage? Lequel est venu avant?

Pour terminer, le concept de pluralité peut être révélateur. Il s’agit d’additionner un et un, non? Et s’il y avait plusieurs pluriels? Certaines langues distinguent l’unité du reste. D’autres spécifient la particularité du couple par rapport à trois et plus, ou séparent douze et plus, vingt et plus. Le zéro peut avoir son propre nombre, pourquoi pas, mais existe-t-il au moins? Est-ce que cette notion de nombre est précise ou est-elle suffisante en restant vague? Un, deux, demie, cent, mille, ou est-ce qu’un peu, beaucoup, trop, rien suffisent?

Revoir les étapes du début: Création de langue 101

Les langues sont organiques, vivantes et humaines (ou sentientes pour les scifi) autant avec sa rationalité que ses émotions. Elles sont marquées d’irrégularités, d’histoires connues ou perdues, encore présentes dans les expressions. Les registres de langue existent dans chacune d’elles. La pensée formule le langage qui formule la pensée. Quels concepts existent dans votre langue, lesquels n’existent pas? Ces éléments servent non seulement à créer une langue, mais aussi à intégrer des originalités à un peuple, un groupe social ou autre par le biais de leur expressivité.

Voilà, c’était le dernier article sur la création de langue en tant que tel. Je vous invite au prochain sujet où il sera question d’alphabet fictif: non pas le choix de symboles, mais les systèmes d’écriture.

Sujet similaire: les systèmes d’écriture

Photo par Mark Rasmuson

7 commentaires

  1. L’aspect « socio » est toujours ce qui m’a le plus fasciné, et la langue en tant que construction sociale en fait partie.

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